Récit n°5:
C’est la tour sud qui tomba la première. Le fracas assourdissant des éboulements de pierres et du verre brisé sembla s’éterniser dans le hall du château de Lynsk.
Morrigane s’élança à contre courant sur l’un des seuls escaliers qui semblait encore tenir.
Emportée par la foule hurlante des courtisans terrorisés, elle trébucha trois fois avant d’atteindre le premier étage.
Elle avait été ralentie par la chute du temple noir quelques minutes plutôt, contemplant hébétée, les colonnes du lieu saint tomber une à une sous les regards horrifiés des prêtresses qui y avaient vu le signe de la fin du monde.
La fin du monde… C’est ce qui se criait à présent à Lynsk, trouvant échos dans les milliers de voix Reikonnes.
La prêtresse avait remonté le groupe de fuyardes pour emporter les pénates sacrées qui représentaient les dieux Krali et le très saint bonhomme de neige.
Elle les avait serrées contre son cœur durant les quelques mètres qui la séparait du château.
Maintenant, apeurée, elle cherchait des yeux Nan, la nourrice ou son royal époux.
Après dis minutes qui lui parurent longues comme un siècle de peine, elle aperçut la vieille servante avec ses deux enfants :
- « Où est Triton ? Où est mon époux ? »
Il lui fallut quelques secondes pour s’apercevoir qu’elle secouait la pauvre femme.
- « Nul ne le sait madame, c’est arrivé si vite »
Son regard désolé lui inspira le plus triste pressentiment mais le cri de sa petite fille la sortit de sa morbide torpeur.
Elle échangea son sac de toile qui contenait ses objets sacrés contre ses bébés et posa un instant son visage contre le leur.
Mais le vacarme ne s’arrêta pas, les murs continuaient de tomber, et son amour ne revenait pas.
Nan posa pressement sa main sur la sienne.
- « Il faut partir… Un bateau a été affrété, il ne nous attendra pas, ma dame»
Pas de réponse
- « Les enfants, ma dame… »
La reine noire secoua la tête et arpenta la salle, criant à plein poumon le nom de son mari.
Quand soudain, le vitrail de l’entrée explosa en poussière de couleur devant la triste famille.
Elle eut à peine le temps de couvrir la tête de ses bébés pour les protéger des éclats.
Cela la décida.
La mort dans l’âme, elle héla sa nourrice et quitta le château.
Quand elle atteignit la côte, sa robe avait été lacérée, il lui manquait une chaussure, ses mains et ses bras avaient été largement blessé mais le bateau était là et les petits n’avaient rien.
L’idée lui traversa l’esprit de laisser les petits à la nourrice et de rester ici sur les terres qu’elle aimait tant.
Mais quand elle vit l’air grave de Drazel et les yeux trempés de larmes de Messaline…
Elle ne pu se résigner à les laisser.
Il était tard, les côtes avaient depuis longtemps disparu de l’horizon quand les enfants s’endormirent.
Morrigane plaça ses dieux mânes sur une table de chevet de fortune et alluma une maigre bougie.
« Si les dieux ont encore quelques peines pour leur fidèle servante,
si les dieux, dans leur incommensurable cruauté, peuvent encore entendre les pleurs,
qu’ils écoutent encore ceux-ci.
Je n’ai d’autres choix que de remettre entre vos mains mon plus tendre amour.
Si je ne devais jamais le revoir, dites lui que mon cœur n’a appartenu qu’à lui,
Que mes plus douces pensées l’accompagnent où qu’il soit.
Si, à jamais, je devais souffrir de l’avoir perdu, laissez moi rêver à nos retrouvailles,
Si je dois à présent vivre dans le doute et la tristesse, qu’il se rassure, ses enfants grandiront.
Mais…
Mais s’il y avait le plus infime espoir de te revoir mon ange,
je t’attends… »